Ces gens qui ont un chien

Ce samedi au lac Weißensee, il fait bon. Les canards ont depuis peu à nouveau les pattes dans l'eau depuis que la météo est redevenue clémente et les femelles suivent de près leur mâle, certaines secouent la queue comme pour montrer leur contentement. Des enfants leur jettent du pain que ces derniers avalent goulûment.

Les gens sont en famille, ils marchent sereinement. Les enfants courent au bord de l'eau, les chiens les suivent. Il y en a de toutes les tailles et de toutes les couleurs : des chihuahuas, des labradors et de beaux golden retrievers.

      Dans un parc clôturé à l'autre bout du lac, deux jeunes animaux gémissent et viennent coller leur museau par moments contre les barres métalliques pour attraper ce qu'on leur donne. Je cherche le nom, le premier qui me vient à l'esprit est « daim », lorsqu'une petite fille crie « Reh! ». Effectivement, ce sont des chevreuils...

      Certains couples se tiennent la main. Une femme est au téléphone et j'ai le temps d'entendre au moment où l'on se croise qu'elle a été en réunion et n'a pas pu faire une seule pause de la journée.

Et pendant une demi-heure, c'est comme si je n'étais pas un pantin venu se perdre parmi 3,5 millions d'autres formes humaines indistinctes usées d'avoir à répéter huit ou neufs fois dans la journée « Darf ich durch? » pour réussir à sortir du métro. Chacun semble momentanément avoir une âme, une vie.

      J'imagine un instant que certaines de ces mères de famille cuisineront peut-être quelque chose de bon à leur conjoint et à leurs enfants ce soir : une salade de pommes de terre ou du Hackepeter étalé sur des Brötchen en entrée, puis un filet de porc avec des Knödel ou des Spätzle et un Käsekuchen en dessert... Ils semblent tous trop heureux aujourd'hui en tout cas pour aller « bouffer » lamentablement un Döner-Kebap dans le coin dégueulasse et sans charme de Kottbusser Tor. Ils laisseront probablement pour ce soir ce plaisir tellement berlinois aux jeunes étudiants étrangers surexcités, en quête d'alternatif, de pas cher et d' « éclate ». Eux ont d'autres priorités...  

      Dommage. Ils vont manquer la sortie collective au « Trésor » prévue par mes colocataires cette nuit et n'auront pas la chance de finir en vomissant sur les trottoirs bondés de Warschauer Straße. Quels idiots ! Ils n'ont pas compris que c'est ça « s'éclater » à Berlin. Ils n'ont pas de chien, eux, mais demain ils auront "un chat" comme on dit en allemand... Bref, la gueule de bois et bien d'autres plaisirs...?